Le “cycle de formations en pédagogie médicale”, organisé par l’équipe de l’éducation médicale de l’Université du Luxembourg, a pour but de promouvoir l’échange entre enseignants, de partager des idées innovatrices et de lancer la discussion sur des sujets importants, tout cela dans un cadre convivial. La présentation et l’utilisation de nouvelles technologies sont également au rendez-vous.
La première édition, célébrée en date du 18 novembre 2021 à la Maison du Savoir, a abordé la question “Comment rendre un cours interactif ?” La séance fut dirigée par Dr Thanh-Van Trieu, pédiatre à la KannerKlinik du CHL et experte en pédagogie médicale, et Dr Christian Grévisse, PhD en informatique et e-learning specialist à l’Université du Luxembourg. 19 participants, pour la plupart des médecins enseignant au sein du Bachelor en Médecine et des Diplômes d’Etudes Spécialisées, inauguraient le cycle. La séance était suivie d’un cocktail dînatoire, le tout dès lors organisé en régime CovidCheck.
Introduction
Le sujet de cette première édition était le cours magistral, soit en présentiel ou en ligne, et la question comment le rendre interactif. Cette méthode d’enseignement est aussi bien largement répandue comme très ancienne. Le tableau ci-dessous de Laurentius de Voltolina montre un cours universitaire en Allemagne, au 14e siècle. Les problèmes étaient déjà clairs à cette époque: Tandis que l’enseignant tenait son discours devant le public, il y avait certains étudiants intéressés, d’autres ennuyés, en train de discuter entre eux, voire dormis. La position-même du conférencier, reflète un enseignement du haut vers le bas.
Le cours magistral est une méthode expositive (Pelaccia & Demeester, 2016). Jusqu’à ce jour, l’enseignant est alors considéré comme seul détenteur du savoir, tandis que les étudiants sont supposés vierges, sans connaissances antérieures – une parfaite dissymétrie.
Les pour et contre du cours magistral
Durant la séance, un learning café était organisé, pendant lequel les participants faisaient des rotations entre 3 tables thématiques. Le premier sujet était la question “Quels sont pour vous les pour et contre du cours magistral ?”
Côté positif, les participants indiquaient que le cours magistral se réjouissait d’une grande familiarité et serait pratique pour les bases théoriques. Il permet de couvrir un volume exhaustif de matière devant un grand groupe, ce qui inévitablement mène à un gain de temps. Ceci est confirmé dans la littérature (Pelaccia & Demeester, 2016), citant comme avantages du cours magistral la transmission de connaissances déclaratives (le “quoi ?”, les faits, les règles), sa capacité de présenter une synthèse de savoir et d’économiser du temps et des ressources.
Les désavantages du cours magistral sont aussi nombreux. Les participants ont jugé qu’il s’agit d’un apprentissage descendant qui n’est pas adapté au temps de concentration, qui ne permet pas d’interactions entre les étudiants, et qui ne prend pas en compte l’hétérogénéité du groupe.
La pédagogie active
“Tell me, and I will forget.
Xun Kuang, 3rd century BCE
Show me, and I may remember.
Involve me, and I will understand.”
Sous le terme “pédagogie active” (anglais: “active learning”), on entend des techniques qui permettent aux étudiants de participer activement à la construction de ses connaissances. L’étude de Freeman et al., souvent citée, a trouvé que des étudiants suivant un cours traditionnel avait une probabilité d’échouer 1,5 fois majeure que leurs collègues suivant des cours contenant des éléments de pédagogie active (Freeman et al., 2014). Petit clin d’oeil vers la médecine, les auteurs mentionnaient:
“If the experiments analyzed here had been conducted as randomized controlled trials of medical interventions, they may have been stopped for benefit — meaning that enrolling patients in the control condition might be discontinued because the treatment being tested was clearly more beneficial.”
Selon (Pelaccia & Demeester, 2016), la taille du groupe ne constitue pas nécessairement un obstacle pour l’apprentissage actif.
Comme deuxième question du learning café, les participants étaient demandés de mentionner les méthodes de pédagogie active qu’ils connaissaient ou qu’ils avaient déjà utilisées. Les réponses étaient nombreuses:
- project-based learning
- inquiry-based learning
- interactive polling
- quiz pour répéter ou explorer les connaissances antérieures
- exercices contextualisés
- mind map
- classe inversée (“flipped classroom”)
- breakout sessions
- jeux de rôle
- learning “in the field”
Comment optimiser le cours magistral ?
Bien que le cours magistral présente certains désavantages bien connus susmentionnés, il est improbable qu’il cesse d’être utilisé, dû aux multiples avantages également existants. Comment peut-on donc l’optimiser?
Préparation du cours
Objectifs d’apprentissage
Pour toute forme de cours, il faut d’abord identifier les objectifs d’apprentissage (“learning objectives”) du cours, y compris les compétences professionnelles à développer. Une technique qui peut aider dans cela est la méthode ABCD (Heinich et al., 2002). Selon cette méthode, il faut élaborer les objectifs d’apprentissage en tenant compte de:
- l’audience (“Audience”), donc les étudiants qui suivront le cours
- le comportement (“Behavior”) que l’audience doit apprendre, p.ex. un geste
- le contexte (“Context”), c’est-à-dire les circonstances dans lesquelles l’audience doit réaliser le comportement visé
- le degré (“Degree”), soit les critères selon lesquels le comportement doit être fait (p.ex. précision, vitesse)
Un objectif d’apprentissage conforme à la méthode ABCD pourrait donc être:
“Les étudiants identifient correctement un pneumothorax sur une image radiographique.”
Choix du contenu
Après avoir déterminé les objectifs d’apprentissage, dû au temps limité du cours, il faut faire le choix du contenu à traiter selon son utilité. Comme aide, on peut se demander “qu’est-ce que les étudiants doivent encore savoir en quelques années?” (Pelaccia & Demeester, 2016). Trop de contenu en trop peu de temps peut vite mener à l’entonnoir de Nuremberg, ou, comme disait Confucius, “plus le maître enseigne, moins l’élève apprend”. Il vaut mieux renvoyer à des lectures complémentaires, aussi bien après le cours comme en amont (cf. classe inversée).
Elaboration de diapositives
Dans cette même idée, les diapositives doivent être un complément visuel au discours. Une erreur typique est de les surcharger de texte, ce qui peut inciter le présentateur à répéter leur contenu, ainsi que de dévier l’attention sur les diapositives au lieu du présentateur. Les “bullet points” en cascade sont également à proscrire, comme caricaturé par Don McMillan dans “Life after death by PowerPoint”:
Si on veut que les diapositives soient néanmoins utilisés comme support de cours, le texte de référence peut être mis dans les notes de présentateur. De cette manière, l’attention reste sur le présentateur, mais les étudiants ont le contenu à étudier à côté des diapositives:
L’utilisation d’éléments multimédia comme des images peut aider le processus d’apprentissage, sous condition qu’ils soient pertinents et contribuent à une meilleure compréhension. Sung et Mayer distinguent entre des graphiques instructifs, séducteurs et décoratifs (Sung & Mayer, 2012). Est considérée comme séductrice une image intéressante mais non nécessairement pertinente pour le contexte donné. Elles peuvent avoir un effet négatif sur l’apprentissage. Plus d’informations sur ce sujet sont exposées dans un excellent resumé signé Patti Shank.
Animation du cours
Il est important de commencer le cours en donnant un aperçu du thème. Les objectifs d’apprentissage peuvent être reformulés sous forme de questions afin de susciter la curiosité. Ces questions peuvent également servir à déterminer les connaissances antérieures sur lesquelles on saura compter pour la suite du cours. Bien que le taux de réponses correctes ne soit pas élevé, ces deux avantages – curiosité et connaissances antérieures – le compensent. Stephanie Castle a créé l’expression “Blind Kahoot”, une façon d’utiliser le student response system Kahoot! pour poser des questions sur le sujet avant qu’il ne soit traité. A part de questionner les étudiants, il faut également leur laisser le temps de formuler et poser des questions.
En pédagogie médicale, il est favorable d’utiliser des problèmes concrets comme fil rouge et contexte du cours, p.ex. un cas clinique réel. Cette contextualisation permet de montrer l’utilité des connaissances présentées par la suite en les reliant à la pratique professionnelle. En menant les étudiants à la compréhension voire la résolution du cas, la perception de la valeur de la tâche (“à quoi ça sert?”) sera augmentée (Pelaccia & Demeester, 2016).
Le niveau d’attention lors d’un cours tend à diminuer après une vingtaine de minutes, et par les effets de primauté respectivement de récence, les éléments présentés au début et à la fin du cours sont plus propices à être mémorisés (Ko et al., 2018). Au milieu, l’utilisation d’éléments de pédagogie active peut aider à remonter le niveau d’attention.
La troisième question du learning café était “Comment animez-vous les étudiants pendant le cours magistral (en présentiel ou en ligne) ?” Les réponses incluaient:
- évaluation formative, p.ex. avec Wooclap
- Moodle
- jeux de rôle (patient/médecin)
- cas pratique (en groupes de 5 à 6)
- simulation
- questions, blagues, anecdotes et cas cliniques
- multimédia (images, vidéos)
En plus de ces réponses, (Pelaccia & Demeester, 2016) mentionne encore les deux activités suivantes:
- Méthode d’intégration guidée par le groupe (MIGG): Les étudiants sont priés de ne pas prendre des notes, et doivent les restituer et compléter en groupe par après. La synthèse est finalement faite, ensemble avec l’enseignant qui prend le rôle de facilitateur pendant cette activité.
- Buzz group: Un problème est discuté en groupes (dans un cours en ligne, ceci pourrait être réalisé à l’aide de “breakout sessions”). Chaque groupe a un rapporteur qui présente la réponse commune. Le tout est clôturé par une discussion et consolidé par la présentation d’éléments théoriques par l’enseignant.
Des cas pratiques peuvent aussi être simulés, notamment avec un patient virtuel. A l’Université du Luxembourg, nous pouvons utiliser pour cela le logiciel Body Interact.
Lors de cours en ligne, un tableau blanc virtuel et collaboratif peut être utilisé pour réaliser des annotations en groupe (Khan et al., 2021).
A la fin du cours, les connaissances acquises peuvent encore être évalués. Les termes souvent utilisés dans la littérature pour cela sont “exit ticket” et “muddiest point”.
Wooclap
Les student response systems peuvent être utilisés pour multiples besoins, comme explorer les connaissances antérieures, inciter la curiosité ou réaliser une évaluation formative. A l’Université du Luxembourg, les enseignants peuvent utiliser Wooclap, un outil assez récent qui néanmoins a déjà été évalué positivement par des étudiants dans la littérature (Marin et al., 2021, Grzych & Schraen-Maschke, 2019). Il comprend 17 types de questions différents, peut être utilisé en direct au cours, ainsi qu’après le cours de façon asynchrone. Il peut également être intégré comme Add-in dans PowerPoint.
Les participants de la séance ont pu découvrir Wooclap en jouant différentes questions.
Conclusion
Cette première édition du cycle de formations en pédagogie médicale a découvert des solutions pour rendre un cours magistral, avec tous ses avantages et désavantages, plus interactif. Une bonne préparation ciblée sur les objectifs d’apprentissage et les nombreuses formes de pédagogie active peuvent optimiser cette forme de cours très répandue. Un outil à disposition des enseignants à l’Université du Luxembourg est Wooclap, un student response system qui peut être utilisé pour découvrir les connaissances antérieures, réveiller le niveau d’attention et évaluer les connaissances acquises durant le cours.
Recommendations de lecture
Le chapitre 11 de ce livre aborde le sujet “Préparer et animer un cours magistral”, dont certains éléments ont été repris dans cet exposé.
Ce livre est un excellent guide pour améliorer ses diapositives, afin d’éviter le “death by PowerPoint” susmentionné.
Bibliographie
- Freeman, S., Eddy, S. L., McDonough, M., Smith, M. K., Okoroafor, N., Jordt, H., & Wenderoth, M. P. (2014). Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics. Proceedings of the National Academy of Sciences, 111(23), 8410–8415. https://doi.org/10.1073/pnas.1319030111
- Grzych, G., & Schraen-Maschke, S. (2019). Interactive pedagogic tools: Evaluation of three assessment systems in medical education. Annales de Biologie Clinique, 77(4), 429—435. https://doi.org/10.1684/abc.2019.1464
- Heinich, R., Molenda, M., Russell, J. D., & Smaldino, S. E. (2002). Instructional media and technologies for learning. Merrill/Prentice Hall.
- Khan, R. A., Atta, K., Sajjad, M., & Jawaid, M. (2021). Twelve tips to enhance student engagement in synchronous online teaching and learning. Medical Teacher. https://doi.org/10.1080/0142159X.2021.1912310
- Ko, L. N., Rana, J., & Burgin, S. (2018). Teaching & learning tips 5: Making lectures more “active.” International Journal of Dermatology, 57(3), 351–354. https://doi.org/10.1111/ijd.13701
- Marin, J., Brichler, S., Lecuyer, H., Carbonnelle, E., & Lescat, M. (2021). Feedback From Medical and Biology Students on Distance Learning: Focus on a Useful Interactive Software, Wooclap®. Journal of Educational Technology Systems, 50(2), 188–200. https://doi.org/10.1177/00472395211023383
- Pelaccia, T., & Demeester, A. (2016). Chapitre 11: Préparer et animer un cours magistral. In T. Pelaccia (Ed.), Comment (mieux) former et évaluer les étudiants en médecine et en sciences de la santé? (pp. 197–215). De Boeck Supérieur.
- Sung, E., & Mayer, R. E. (2012). When graphics improve liking but not learning from online lessons. Computers in Human Behavior, 28(5), 1618–1625. https://doi.org/10.1016/j.chb.2012.03.026